dimanche 23 décembre 2012

Des têtes au bout des piques

Ca vous intéresse vous les agitations pamphlétaires et indignées du milieu du show-bizz qui font suite à l'affaire Depardieu et à la diatribe de Torreton ?

Moi assez peu en fin de compte. Si le comportement de l'autre gros tas est déplorable et que j'ai trouvé le texte de Torreton plutôt bien senti (quoiqu'on pense de son auteur), ça s'arrête là. On a peut être d'autres chats à fouetter que de s'inquiéter des états d'âme du monde du spectacle.

Que ce petit milieu, qui n'existe que par la culture de l'entre-soi et de l'indécent spectacle que représente la starisation à outrance, livre le contenu de ses déchirements politiques n'est pas plus original que s'il s'agissait des marins pêcheurs. Il est juste plus médiatisé car on ne refuse pas une tribune ou une caméra à un Torreton ou une Deneuve. C'est tout. Et ça ne leur donne pas regard plus pertinent ou plus intelligent sur le monde. Peut être même au contraire. Regard sur leur monde en tout cas peut être davantage, encore que la spécificité de ce milieu ( et de ceux qui font profession de l'intellect et du culturel en général ) est de s'inventer des fractures et des ruptures irréconciliables, sans doute pour conjurer la culpabilité, le profond ennui et le profond dégoût que doit engendrer la pratique d'une sociabilité à ce point endogame, à ce point redondante. Futile dans sa prétention.

Guerre civile a-t-on dit. Oui, n'en faisons pas trop non plus. On mettra sur le compte de leur sens de la dramaturgie l'emploi des mots qui font peur. On ne saurait toutefois les dispenser d'un examen critique sur leur propre position et sur leur responsabilité. Après tout, au même titre que les journalistes et les universitaires, les acteurs, comédiens et chanteurs se retrouvent dans la position des leaders d'opinion et qu'à ce titre leur verbalisation est sujette à toutes les interprétations et récupérations possibles.
En tout cas la puérilité des remarques de quelques uns qui ont du mal à comprendre qu'on puisse reconnaître le talent d'un acteur sans pour autant cautionner ou applaudir les actes et pratiques de l'individu en dit assez long sur le manque total de recul de cette élite artistique qui, à l'instar de l'élite journalistique, politique ou économique, semble vivre dans une bulle, engoncée dans le complexe de sa centralité et de sa supériorité sociale.
En tout cas il est des sujets où ce petit monde se fait bien plus neutre, bien plus discret. Il y a des choses qui l'émeuvent davantage. Les yeux de chiens battus et le ton éploré d'un millionnaire obèse fuyant le fisc en s'installant en Belgique par exemple.

Qu'une Catherine Deneuve puisse énoncer des âneries est finalement compréhensible. Mais pas excusable. Quelqu'un qui a bâti une carrière sur des rôles de gourde, de femme au foyer, de femme fatale ou de grande bourgeoise n'a peut être pas eu le temps de lire des livres et de développer une intelligence critique plus aiguisée. "De quel droit, de quel souci démocratique semblez-vous animer votre vindicte salissante ?" "Qu’auriez vous fait en 1789, mon corps en tremble encore !"Démocratique, 1789" Que viennent faire ces mots et cette date formulées avec le ton qu'on emploie pour les grossièretés ? Je n'ai que trop peur de comprendre ce que l'on cherche à condamner, on croirait entendre Marie-Antoinette et ses histoires de brioche. Il n'y a qu'à voir l'allure de duchesse britannique dans laquelle se présente Deneuve pour comprendre quels intérêts elle défend. Mais la stupidité et l'inculture qu'aucun argent, aucun talent ni aucun prestige ne compensent, me semble des explications bien plus rationnelles. Notons qu'il est un temps ancien où acteur et actrice étaient synonymes de voyou et de pute. Il n'y a pas à le regretter, sinon que leur place acquise dans la hiérarchie sociale a peut être un peu réduit la pertinence de leur parole publique. On aimerait rappeler quelques faits à ces personnes qui vivent sous la perfusion de subventions publiques. Les miracles (fiscalement explicables) d'une politique culturelle et artistique rendent aussi grandement service à ceux qui font profession de divertir.

En revanche j'ai été davantage interpellé par l'intervention de Laurence Parisot, présidente du Medef, dans ce débat. Reprenant les termes de Deneuve elle a fustigé " un climat de guerre civile, qui s’apparente à 1789. »
On conseillera à la patronne des patrons d'ouvrir un livre d'histoire à l'occasion et de se mettre un peu au point sur l'histoire de la Révolution française.
Jusqu'à présent, à ce sujet, la droite libérale tenait à peu près le discours suivant: la révolution française a été une bonne chose...jusqu'en 1793 quand tout s'est mis à déraper par la radicalisation. En résumé, 1789 c'était bien mais 1793 c'était beaucoup trop.
Voilà qu'une nouvelle frontière est ici symboliquement franchi, qui donne raison aux quelques voix qui dès les années 90 dénonçaient les pierres de la réaction dnas le mur du révisionnisme historique de la Révolution. On commence à remettre en cause 93 c'est pour mieux s'attaquer aux fondements de 89.
Guerre civile ? Quelle guerre civile ? Il n'y a de "climat de guerre civile" qu'à partir du moment où l'Assemblée Nationale vote la nationalisation des biens du clergé et oblige les membres de celui ci à jurer fidélité à la Constitution. 1790 au mieux. Et encore. Pas avant que la guerre n'intervienne là dedans. 1789 n'est pas une partie de plaisir mais est ce moment curieux d'union de différentes forces qui renversent la monarchie absolue. L'abolition des privilèges est même votée par les députés nobles la nuit du 4 août.
Alors quoi ? Faut-il faire le procès de l'ignorance à Parisot ? Peut être. Mais il n'empêche pas l'opportunisme et tout ceci en dit très long sur le regard que ce monde là porte sur cet épisode fondateur qu'il voudrait finalement bien liquider des mémoires et du système de référence de la société française.
Parce qu'à parler de droits de l'homme et du citoyen et des privilèges on en viendrait vite à désigner les nouveaux privilégiés de notre temps, cette aristocratie, variable dans ses formes, mais qui n'a jamais réellement disparue et qui s'arc-boute et se rigidifie sur ses bases, qui pressure le peuple comme celle de l'Ancien Régime.

Les "éléments de langage" trahissent les volontés et les pensées coupables de ceux qui les prononcent. Que les privilégiés défendent leurs intérêts, cela n'est pas la question. Qu'ils commencent à le faire en dénonçant explicitement les pulsions démocratiques du bas peuple et en condamnant les velléitaires au nom d'une damnation historique rédhibitoire c'est en revanche un élément assez nouveau.

Mais au fond, ils ont sans doute raison. Leur haine n'est que de la trouille. Contrairement à ce qu'on a voulu nous faire croire 1789 ne s'est pas achevé, apaisé dans la symphonie joyeuse du bicentenaire.
1789 et ses suites sont toujours là car c'est toujours la même histoire que l'on rejoue. C'est d'autant plus clair ces derniers temps. La longue patience du peuple n'est pas l'apathie des décérébrés absorbés par le spectacle de ces Illustres. Ils le savent et ont peur pour leurs têtes.


mercredi 5 décembre 2012

Social-traitrise

Comment dire ?


Comment dire qu'ils ne nous désespèrent plus tellement on s'attendait même pas à ce qu'ils changent quoi que ce soit.

Depuis 6 mois à peine, il ne se passe pas une semaine sans qu'un renoncement, une ignominie, une lâcheté, une connerie supplémentaire nous enfouisse un peu plus à chaque fois la tête dans le sable dont sera fait le ciment du désastre à venir.


On fait encore mine de s'étonner. Mais y croyait-on encore ? Même pas. Cette "gauche" là ne l'est plus. Ou alors ne l'est plus comme on l'entendait jadis classiquement. Cette "gauche" là est le fruit d'une convergence d'intérêts ponctuelle et d'un gigantesque malentendu qui dure depuis au moins 20 ans.
Mais nous leurs ferons grâce de l'ensemble et nous contenterons de regarder l'oeuvre "socialiste" des derniers mois:

Se coucher devant un financier sans scrupules qui a bâti sa fortune en rachetant puis en revendant des industries dans le monde entier ? Combien de vies Mittal a démoli dans le monde entier ? Qui tient les comptes ?
Se coucher devant le Medef en revenant à toute vitesse sur une mesure fiscale touchant des spéculateurs financiers.
Se coucher devant le conservatisme et le patronat allemand qui voit l'Europe comme un IVe Reich économique en puissance.
Se coucher devant les exigences du patronat et de la logique libérale en acceptant la quasi totalité d'un rapport Gallois issu de la plus pure pensée patronale.
Se coucher devant la trouille d'une opinion qu'on imagine trop xénophobe et renoncer au droit de vote des étrangers.
Se torcher avec ses promesses et ses engagements sur la TVA quelques semaines seulement après avoir dénoncé les pratiques de la droite en la matière.
Se commettre dans les absurdités juridiques en introduisant d'illégales notions de conscience dans le droit au sujet du mariage homosexuel.
Se mettre dans la peau du flic en poursuivant les expulsions de Roms et de sans papiers.
Mépriser son électorat en réprimant avec violence les opposants à l'un des projets d'aménagement le plus controversé de ces dernières années.

J'en oublie sans doute. 7 mois de pouvoir. A peine.


De toute façon, partout en Europe c'est la prétendue gauche qui a toujours mieux fait le boulot du capitalisme. Relayée par des syndicats suivistes, intellectuellement corrompus et par des médias à la botte, empêtrés dans les accointances et les proximités sociales caractérisant une oligarchie en voie de sédimentation.
Cette gauche là n'est plus de gauche depuis des années. Elle ne l'est, timidement, que par opportunisme électoral. Mais l'origine intellectuelle de ces gens là, c'est l'éthique du renoncement et le social-libéralisme de Delors et de Rocard, depuis les origines. La traîtrise comme axe de travail.

Ayrault et Hollande, deux gueules de péteux enfermés dans leurs certitudes. Deux minables, deux "fins-de-régime", deux capitaines de Costa Concordia. Des gros nazes.

Moi je suis comme Ataru. J'en ai plein le cul. Marre d'expliquer, de débattre. L'analyse est faite. C'est des tirs d'artillerie qu'il faut leur envoyer dans la gueule. Putain, Staline, où sont tes chars ?où sont tes orgues ?

Sourde colère et sentiment d'impuissance se mêlent. Il n'y a que le fait qu'on s'y attendait qui soulage un peu. Rien à attendre, rien à espérer. Juste à vomir leur usurpation permanente : socialiste est devenu le synonyme de trous du cul. C'est d'une tristesse quand on pense à Jaurès, à Blum...Dire qu'ils appartenaient au même parti.

Mais bordel, on en vient à leur souhaiter le pire, que ce soit eux qui se prennent le retour du bâton dans la gueule. Et tant pis pour les conséquences. Ils ne défendent plus rien, ont renoncé à tout et le font toute honte bue. Cynisme affiché. Raison d'Etat et assurance que procurent le pouvoir et les certitudes des bourrins à oeillères. Il n'y a aucune intelligence là-dedans, aucun sens historique, aucun courage politique, aucune innovation intellectuelle, simplement la réactualisation d'un libéralisme qui a échoué partout où il a sévi mais n'en serait pas délégitimé pour autant. Il n'y a que le gouvernement de la trouille. L'empire d'un consensus introuvable et de l'imitation servile du modèle allemand qui nous massacre méthodiquement. La haine de la démocratie. La haine du peuple. La certitude que les miroirs de la cour des princes renvoient à ceux qui n'ont plus l'habitude d'être contredit ou déstabilisés. Ils seront les premiers à bord des canots de sauvetage quand le paquebot coulera. Et viendront pleurer leur pauvre sort ou l'incompréhension de leur naufrage. Tout était pourtant si simple.
 

mardi 4 décembre 2012

LA CATALOGNE EXPLIQUÉE AUX FRANÇAIS

L’exercice que je vais vous demander de faire est, je le crains, difficile pour des français. Des français qui, de plus, êtes pour beaucoup des profs de l’indivisible Education Nationale. Des français qui êtes le fruit d’une autre histoire, d’autres guerres et d’autres révolutions, qui vous mènent à bouffer du foie de canard malade. Mais moi,  courageux bouffeur de chorizo, je vais m’aventurer à défier les piliers de votre psyché collective.


Premier exercice, tentez d’imaginer que le catalan obligatoire pour tous à l’école, que l’enseignement prioritairement en catalan, est ce que vous appelez une mesure d’égalité républicaine. Partons d’une donnée sociolingüistique simple. En Catalogne, les riches parlent catalan, les pauvres espagnol. Quelqu’un qui n’aurait pas appris le catalan à l’école, serait condamné à vie à porter tatoué sur le front, à chaque entretien d’embauche, « Je suis un banlieusard plouc sans culture ». On connait déjà l’éventail de stratégies de domination culturelle développées par la bourgeoisie pour freiner l’ascenseur social. Ne rajoutons pas la langue, s’il vous plaît. Je ne compte pas le nombre de personnes de mon entourage, fils d’immigrants andalous, qui, comme vous, Mohamed, Jérôme, Damien, Azzedine, sont devenus profs ou ingénieurs et sont  sortis de la banlieue barcelonaise parce qu’on leur a donné les armes à l’école. Et parmi ces armes, la première c’est le catalan. Voulant en savoir plus, je leur ai demandé si, comme le raconte à longueur de journée la presse à Madrid, à grand renfort d’experts et de pédopsychologues, ils étaient traumatisés à vie qu’on les oblige à parler une langue qui n’était pas celle de leur parents. Je vous laisse deviner la réponse.


Deuxième exercice, tentez d’imaginer aussi que le catalan obligatoire pour tous à l’école, que l’enseignement prioritairement en catalan, n’est pas un facteur de crispation et de division, mais au contraire, la seule garantie de paix sociale. Parce qu’en se regardant dans plusieurs miroirs, on a décidé ne pas devenir comme le Pays Basque, l’Irlande du Nord, la Belgique ou le Quebec, pays qui pratiquent cette putain de liberté de choix à l’école. Le débat a été tranché en 1978. On ne veut pas deux communautés. On ne veut pas de catalanophones et d’hispanophones, allant dans des écoles communautaires, vivant dans des quartiers communautaires, mangeant de la bouffe communautaire et baisant dans des bordels communautaires. Donc catalan pour tous. Basta.


Or ce modèle éducatif qui nous a apporté paix et prospérité pendant trente ans, et qui fait l’objet d’un large consensus en Catalogne, est régulièrement la cible de tentatives de déstabilisation de la part de Madrid. A l’origine, un manifeste de l’Académie Espagnole expliquant que le castillan était en danger. Venant de la deuxième langue la plus parlée au monde, ça frôle l’insulte. Ensuite, une campagne de presse quasi quotidienne, « le drame de l’immersion linguistique en Catalogne » (sic), avec moultes récits d’enfants traumatisés. Dernier acte, la loi de réforme de l’éducation, la bombe lâchée hier par le ministre Wert.


Cette loi, c’est la réponse de Madrid aux deux millions de personnes défilant le 11 septembre dernier dans les rues de Barcelone pour l’indépendance.  C’est leur réponse aux élections de dimanche dernier. Pendant que le reste de la planète s’inquiétait, la presse à Madrid, dans un exercice de dénégation proche du délire névrotique, n’a su voir (ou n’a voulu voir) dans les résultats que le camouflet infligé au Président Mas, qui d’après eux, sonne le glas du projet de référendum d’indépendance. Peu importe que dans l’ensemble, les forces séparatistes progressent. Peu importe que des force plutôt neutres auparavant, comme les socialistes ou les verts, basculent petit à petit dans le camp du Oui à l’indépendance.  Ils ne comprendront jamais.


La réponse du ministre Wert, le coup de baguette magique qui résoudra la question catalane, c’est dynamiter le système éducatif catalan. C’est rendre le catalan optionnel à l’école, avec un statut inférieur à l’anglais et à la LV2. C’est obliger les communes qui ne peuvent pas assurer un enseignement en castillan aux enfants, à leur payer l’école privée.


Ce n’est même plus une provocation, c’est une déclaration de guerre. J’en ai marre d’être pédagogue. J’en ai marre de leur expliquer, gentiment, que non, on ne parle pas catalan juste pour les faire chier. Non, on ne demande pas des infrastructures dignes de la sixième ville européenne juste pour les faire chier (un aéroport international et faire arriver avant le TGV à Barcelone qu’à Calahorra de arriba serait une bonne idée). Non, notre seul but quand on se lève le matin ce n’est pas de faire chier. Je suis fatigué de m’auto-convaincre qu’une autre Espagne est possible, fédérale, solidaire, et fière de sa diversité culturelle. L’heure de la pédagogie est finie. Il y a des lignes rouges qu’on ne croise pas. Chaque fois qu’un politicien à Madrid ouvre la bouche, dix indépendantistes catalans naissent. Et aujourd’hui c’est moi qui, pour la première fois, crie ce mot : INDÉPENDANCE.